Un CERTIBIOCIDE ubuesque

Ça y est, l’Arrêté du 9 octobre 2013 « relatif aux conditions d’exercice de l’activité d’utilisateur professionnel et de distributeur de certains types de produits biocides » a été publié au Journal Officiel

(http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=?cidTexte=JORFTEXT000028214219&dateTexte=&oldAction=dernierJO&categorieLien=id)

Résumons-le :

C’est le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD) qui le délivre. Il se passe dans dans des centres de formation agréés par lui.

Les professionnels concernés ont jusqu’au 1er juillet 2015 pour se mettre en conformité avec la
loi.

Sont concernés les utilisateurs des produits biocides suivants :

  • désinfectants des surfaces en
    contact avec des denrées alimentaires,

  • les produits de lutte contre les
    termites,

  • les produits de traitement du
    bois,

  • les produits de lutte contre les
    rongeurs,

  • les produits de lutte contre les
    oiseaux,

  • les produits de lutte contre les
    insectes,

  • les produits de lutte contre les
    vertébrés.

Les nouveaux professionnels disposent de trois mois pour passer CERTIBIOCIDE. Quoiqu’il en soit, les entreprises ne peuvent pas compter plus de 10% de non certifiés. Pendant le travail, les non certifiés ne peuvent exercer seuls et doivent obligatoirement être accompagnés d’un certifié. Les TPE de moins de 10 salariés ont droit à un seul non certifié.

Les professionnels doivent être déclarés au ministère par voie électronique.

CERTIBIOCIDE est valable 5 ans et se passe après avoir obtenu CERTIPHYTO. Il est possible
d’obtenir CERTIBIOCIDE par une formation longue (3 jours) incluant le programme de CERTIPHYTO, ou une formation courte (1 jour) pour les titulaires de CERTIPHYTO.

Résumé du programme de formation (7 ou 21 heures en tout) :

  • Un module réglementation d’1,5h ou 5,5h

  • Trois modules identiques d’1,5h ou 5,5h pour les rodenticides, insecticides et désinfectants (prévention des risques pour la santé et l’environnement, techniques alternatives à l’utilisation des biocides)

  • Un module de 0,5h ou 1,5h sur les déchets

  • Une auto-évaluation de 0,5h

Nos commentaires :

Malgré les observations du milieu professionnel, le ministère a adopté une logique agricole pour sa certification des acteurs de l’hygiène publique. Or, les quantités de biocides utilisées par les deux milieux professionnels sont incomparables ! L’application raisonnée de biocides,
telle que nous l’exposons lors de nos formations, revient à en utiliser d’infimes quantités.

Rappelons qu’une cartouche de gel blatte contient 0,05% de biocide, ce qui revient à en appliquer entre 0,001 et 0,005 grammes par logement, selon sa surface et le niveau d’infestation.

Un rodenticide contient en moyenne lui aussi 0,05% de biocide, et même s’il faut poser plusieurs kilos d’appâts pour traiter une infestation de surmulots, cela représente seulement quelques quelques grammes de poison.

Le fait est que ces 20 dernières années il n’a été enregistré aucun empoisonnement accidentel
d’humains et aucune pollution du fait de l’application de biocide en hygiène publique. Seuls quelques chiens ont été victimes du mauvais rangement d’appâts rodenticides par leurs maîtres.

Le MEDD impose donc une usine à gaz qui n’est qu’un ersatz de principe de précaution complètement hors-sujet, à un milieu professionnel qui a surtout besoin d’en revenir aux fondamentaux de son métier : la bonne connaissance de la biologie des rats, souris, blattes, puces et punaises.

Pour un dératiseur-désinsectiseur des villes, se goberger trois journées de formation sur les risques et dangers des biocides pour la santé et l’environnement revient à passer un permis de transport en commun alors qu’il n’a besoin que d’un permis B. En ce qui nous concerne, les dangers et risques des biocides pour la santé l’environnement sont abordés en 0,5 heure, lors de nos formations « lutte raisonnée contre les nuisibles urbains », qui dure 15 heures…

Le plus ubuesque est que le programme de formation CERTIBIOCIDE prévoit trois thèmes

« stratégies visant à limiter le recours aux produits rodenticides » (et donc insecticides et désinfectants), que nous citons in extenso:

– Techniques alternatives à l’utilisation des produits biocides.
– Méthodes et produits alternatifs.
– Techniques de lutte intégrée (lutte biologique directe et indirecte, méthodes physiques,
etc.).

– Evaluation comparative de l’utilisation des produits.
– Evaluation de la nécessité d’intervenir : identification des organismes cibles et évaluation des risques.
– Raisonnement des interventions.
– Choix des produits par rapport à leur efficacité, à la toxicité, à leurs facteurs intrinsèques
(dose de matière active, mobilité, dégradation plus ou moins rapide, solubilité, etc.).

– Adaptation des doses et des modes d’application en fonction de l’état et de la
distribution spatiale des organismes cibles.

– Evaluation comparative de l’utilisation des produits biocides et techniques alternatives.
Qui sont inclus dans les trois modules d’1,5h ou 5,5h sur les dangers et risques !

Or, comment exposer la lutte contre les punaises des lits avec le moins possible de biocides,
sans aborder leur comportement et leur cycle de reproduction ? Où poser pertinemment les gouttes de gel, et en quelle quantité, si l’on a pas pris soin d’évaluer le taux d’infestation de blattes, qui ne peut se faire qu’en connaissant un minimum d’éléments sur leur biologie ? Comment éradiquer des souris dans un restaurant sans s’interroger sur la manière dont elle vivent et circulent dans les lieux ? Comment rendre un endroit inhospitalier aux rats (pour qu’ils le quittent), sans savoir quoi faire, ni comprendre pourquoi et comment ils vont réagir ? Or, il faut bien plus de 8 heures de formation pour exposer correctement ces quatre sujets !

Vu l’importance et la redondance (3 fois les mêmes!) des modules « risques pour la santé et
l’environnement », ces parties « alternatives » constitueront à n’en pas douter la part du pauvre dans la journée de formation. Surtout que les centres de formation agréés sont en majorité ceux des producteurs / distributeurs de produits biocides… C’est un peu comme si la SEITA et les buralistes étaient agréés « centres de formation anti-tabac ! ».

Où comment se donner bonne conscience en faisant des affaires. Car ce texte est une manne
financière : plus de 5.000 professionnels doivent se faire certifier avant 2 ans ! Pauvres dératiseurs, qui vont s’enquiquiner pendant trois jours, et qui seront recalés s’ils loupent trop de questions des QCM parce qu’ils textotaient à leurs clients… Mais ne craignons rien, les arrangements entre amis, pardon, clients et fournisseurs, sauront s’adapter aux modalités de
contrôles du ministère, qui sont virtuels…

Finalement, le MEDD assure le développement durable des centres de formation des producteurs /distributeurs de biocides. Et des infestations de punaises, puces et rongeurs…

Pierre Falgayrac

http://www.hyform.fr